Search
Close this search box.
Search
Close this search box.

Enclave agricole

La notion d’enclave agricole vient pour nous d’un travail de mémoire effectué en 2007 sur les espaces agricoles en périphérie de Lyon. En souhaitant étudier préalablement des espaces agricoles périurbains, nous avons rencontré par observation des positions agricoles désormais prises totalement dans le tissu urbain. Nous en avons choisi trois pour leur diversité de contextes, d’échelles et de formes agricoles. La première est en maraîchage, la seconde en grandes cultures et enfin la dernière en élevage.

L’enclave de maraîchage se trouve au nord de Lyon partagée entre les communes de Caluire-cuire et de Rilleux-la-Pape. Elle présente un vaste espace de maraîchage d’une centaine d’hectares bordé d’entrepôts, de bâtiments commerciaux et d’habitations collectives ou individuelles. Elle est pratiquement close par des axes routiers. L’enclave de grandes cultures étudiée se trouve au sud de l’agglomération lyonnaise sur les communes de Feyzin, Vénissieurs et Corbas, c’est un espace de près de 500 hectares. Enfin l’enclave d’élevage se trouve sur la commune de Sainte-Foy-les-Lyons à l’ouest de l’agglomération, sur les premiers reliefs du massif central contre lesquels Lyon s’adosse. C’est un pâturage de quatre hectares partiellement pris dans un tissu pavillonnaire.

Suite à la rencontre de certains élus et d’agriculteurs concernés les orientations que semblaient suivre ces enclaves et leurs statuts étaient totalement différentes. Les maraichers présents sur le première enclave n’avaient pas développé de relations particulières avec leur environnement urbain, faisant très peu de ventes directes notamment. Depuis plusieurs années l’enclave avait été appréhendée pour accueillir successivement plusieurs types de projets urbains, offrant un « vide » stratégique aux portes du centre de Lyon. Les maraîchers avaient depuis longtemps essayé d’anticiper leur départ en achetant des terrains extérieurs à l’agglomération pour déplacer leur siège d’exploitation. Ils n’avaient non plus jamais été intégrés au projet urbain et ce contexte leur posait problème. L’élargissement des voies de bus leur avait coupé un nombre important d’accès aux parcelles, l’éclairage urbain en bordure posait des problèmes de maturité précoce des légumes sur ces parties entrainant des différences de phasage de récoltes, etc. L’enclave semblait vouée à disparaître, l’un des derniers projets porté sur elle étant à ce moment-là d’en créer un parc urbain mais sans eux.

A l’inverse l’enclave céréalière s’était développée différemment. Pourtant a priori beaucoup moins liés à un contexte urbain (le maraîchage pouvant normalement plus facilement tiré parti d’une situation en ville), les agriculteurs céréaliers avaient réussi à trouver les moyens de leur maintien et de leur intégration au projet urbain. L’ensemble de l’enclave était classé en zone agricole dans les documents d’urbanisme et était protégée par différents statuts juridiques. Un syndicat mixte (syndicat mixte des Grandes Terres) avait été mis en place permettant de regrouper les agriculteurs et les différents décideurs autour d’un même projet. L’intérêt de cette enclave résidait aussi dans le fait qu’une transformation de cet espace avait été mise en place, en créant une sorte de parc agricole. Le parcellaire avait été restructuré en créant des chemins d’exploitation servant également à la randonnée, des sentiers d’interprétation avait été mis en place, les accès protégés, etc. Au-delà le statut des agriculteurs avait également progressivement muté. La plupart était double actifs, soit en ayant une activité annexe (prestataire de service pour l’entretien d’espaces verts par exemple), soit effectuaient de la fabrication de pain dans les lotissements proches ou ils habitent avec un système de vente directe, aboutissant à ce qu’ils défendaient comme un statut d’agriculteurs urbains.

Enfin l’enclave d’élevage présentait un statut finalement particulier. Donnant initialement l’impression d’être un pâturage en cours d’enfrichement et voué à une disparition prochaine, sa situation était l’inverse. La ville de Saint-Foy-les-Lyons disposait d’un espace classé comme zone « naturelle » en fond de vallée au milieu des lotissements, classement renforcé par son appartenance récente et stratégique à une vaste « coulée vert », dont le coût de gestion et d’usage lui posait problèmes. La commune a alors proposé à un éleveur installé à une dizaine de kilomètres en bordure de l’agglomération de pâturer cet espace. Une convention renouvelable annuellement a été mise en place, la commune se chargeant de l’installation d’une clôture périphérique et d’un défrichement sommaire, et l’éleveur s’engageant à entretenir cet espace par la mise en place de quelques bovins (le fait que l’éleveur soit en agriculture biologique était imposé). L’agriculteur amène ainsi à partir du printemps jusqu’au début de l’automne quelques vaches avec leurs veaux qu’il choisit parmi les plus dociles. Elles sont amenées en bétaillère, les transports étant effectués généralement très tôt les dimanches matin. Cela permet à l’agriculteur de disposer de nouvelles surfaces, étant sur son siège d’exploitation de plus en plus soumis à une pression foncière et notamment au désistement de ces propriétaires pour la location des pâturages à des particuliers pour des chevaux de loisirs (ces particuliers étant prêts à payer bien plus cher). Cet exemple montrait d’une part la formation d’un nouveau statut d’espace agricole en milieu urbain, avec la mise en place d’une sorte d’estive urbaine, mais surtout une nouvelle façon d’appréhender l’espace urbain comme un nouveau territoire productif.

Au-delà de ces enclaves agricoles précises, la notion d’enclavement qui nous apparaissait est aussi celui d’une marginalisation générale des espaces agricoles et de l’agriculture dans une société extrêmement urbaine, à la fois physiquement comme culturellement. Dans le même sens que le dernier exemple rencontré, le déplacement des espaces agricoles au-delà d’une limite urbaine toujours déplacée et grandissante amène à envisager la place de l’agriculture dans ce contexte d’une manière totalement différente. L’espace agricole « classique » étant peu extensible, la ville comme territoire apparaît désormais comme le nouvel espace agricole possible, conduisant à retourner le mouvement d’absorption par la ville des espaces agricoles. Enfin cet enclavement montre l’isolement progressif des agriculteurs dans une société où le rôle de ceux qui ont un rôle de production alimentaire et donc de modification de l’espace naturel pour cet objectif est de plus en plus faible. Il impose la définition d’un nouveau statut d’agriculteur, à la fois affirmé comme producteur dans une société nécessairement agricole, mais aussi pleinement associé au développement urbain, porteur et dynamique d’un nouveau projet agricole.